Souvent, les stagiaires me demandent comment je gère le comportement des élèves. J’essayais de donner des réponses concrètes, mais j’ai affiné un peu mon point de vue, et je vous partage aujourd’hui mes réflexions :
Tout d’abord, je n’aime pas ce terme de gestion : je ne gère pas, j’enseigne… Je ne me sens absolument pas capable de faire la distinction entre l’élève qui ne serait qu’un pur esprit auquel je ne devrais qu’enseigner des matières nobles, et le petit enfant remuant qui arrive dans ma classe. C’est cet enfant qui est mon élève. Il ne sait pas se tenir ? Je lui enseigne, c’est mon métier. Il n’a pas les mêmes bases que les autres ? Il apprend moins vite ? Je tente d’adapter mon enseignement, comme dans les autres matières (celles qu’on appelle disciplines…)
Pour essayer de me former dans ce domaine comme dans les autres, j’ai lu, j’ai choisi ce qui me paraissait important, et chaque jour j’essaie d’appuyer ma pratique sur 3 références théoriques : (texte complet à télécharger en bas de l’article).
– Tout d’abord, les pédagogies coopératives : on apprend ensemble. Je leur emprunte principalement les conseils d’élèves et les ceintures de comportement. Pour moi, ce qui est fondamental dans ce système, c’est que les élèves progressent (on part de la ceinture blanche et on ne peut que monter) ensemble (chaque problème évoqué en conseil est renvoyé au groupe : comment on va l’aider ?). Je ne souhaite pas mettre en place un système punitif où les mauvais comportements font baisser le statut de l’élève, comme si son comportement devait être parfait en arrivant à l’école et que ses difficultés étaient moralement répréhensibles. Je préfère valoriser les efforts et donner confiance en leurs capacités à progresser que de pointer du doigt les difficultés. Je pense là particulièrement aux enfants présentant des troubles plus ou moins important du comportement. Pour retrouver mes notes de lecture, c’est ici.
– Ensuite, Maria Montessori, encore elle, qui souhaitait que les enfants puissent mettre en place leur discipline intérieure. Pour cela, ils sont occupés, actifs dans leurs apprentissages (parce qu’un enfant qui s’ennuie se contrôle plus difficilement), apprennent l’ordre, le libre choix… L’enfant doit apprendre à se concentrer non par des injonctions extérieures, mais par sa propre volonté.
– Enfin, la discipline positive : là encore, l’idée n’est pas du tout d’être permissif, mais de valoriser les progrès et de faire de chaque moment une occasion d’apprendre. Il est question aussi que les enfants puissent comprendre le but des règles et non les appliquer par peur des punitions. La plupart du temps, l’éducation par les punitions n’entraine que rancœur, revanche, rébellion ou retrait. La bienveillance ne signifie pas céder aux demandes des enfants, les protéger des frustrations, voler systématiquement à leur secours, les gâter avec excès, intervenir à chaque instant. L’approche proposée est centrée sur la recherche de solutions, et propose de regarder les comportements inappropriés comme des opportunités d’apprentissage.
Je tente chaque jour, avec plus ou moins de réussite, de mettre en oeuvre dans ma classe ce que je retire de ces points d’appui :
- Un apprentissage explicite. Le comportement d’élève s’apprend. Il n’est pas un préalable aux apprentissages, il en fait partie. Dans le déroulement de la classe, chaque geste ou posture des élèves fait l’objet d’un apprentissage explicite. Des codages aident à la mémorisation et au rappel.
- Des règles construites en commun : Comme dans la plupart des classes, notre règlement a été établi ensemble en début d’année. Il distingue les lois, les règles et la politesse. Il est très important de poser tout de suite les lois de la classe, liées à ses objectifs, et exprimées en termes positifs. Ensuite, nous pouvons donner les règles qui aident à respecter ces lois : règles de comportement en classe et de respect entre les camarades, règles de sécurité corporelle et affective. Je passe beaucoup de temps à reprendre avec les élèves les raisons de ces règles, pour aller plus loin que le trop souvent entendu « on n’a pas le droit parce qu’on va être puni ». Il me semble que les élèves doivent à tout prix comprendre l’utilité et l’intérêt des règles de la classe : pouvoir préserver leur liberté, notamment celle de travailler.
- Le conseil d’élèves. Chaque semaine a lieu un conseil d’élèves. Il est institutionnalisé, ritualisé assez fortement, afin que les élèves puissent s’y investir en toute sécurité. Un cahier sert à garder une trace de ce qui se dit. On y évoque les points positifs des comportements et du travail, puis on essaie de régler les problèmes. Pour éviter les règlements de comptes, je déplace toujours le problème en demandant à tous les autres de chercher des solutions pour aider l’élève, et non pour le punir. Nous cherchons les solutions possibles au problème, et la classe propose ces solutions aux enfants concernés. Elle est alors notée sur le cahier du conseil. On peut demander à un enfant de s’engager devant les autres à faire un effort pour… L’instant est alors solennel. Il est noté. Il ne faut pas que cela soit trop souvent, et surtout que l’effort en question soit réalisable, pour ne pas placer l’enfant en situation de manquement à sa parole et en échec face à la classe. J’en parle aussi ici.
- Le message clair et les étapes de résolution de problèmes. Quelques séances d’ECM sont consacrées à l’apprentissage de méthodes de résolution de problèmes : le message clair et les étapes de résolution de problème de la discipline positive. J’en ai parlé ici.
- Les ceintures de comportement. Les élèves se voient attribuer une ceinture de comportement. A chaque conseil, je propose à chaque élève une piste de progrès, un petit pas envisageable, pour continuer de progresser dans le tableau. Inutile de demander à un petit garçon qui ne tient pas en place de se contrôler toute la journée du jour au lendemain. Par contre, on peut lui demander d’entrer en classe calmement 4 fois par jour, le lui rappeler avant chaque entrée, le féliciter ensuite. Il voit que c’est possible et il est fier de lui. On peut ensuite petit à petit augmenter les exigences. On construit ainsi le comportement d’élève comme les autres compétences, pas à pas. Chaque semaine, le conseil d’élèves permet de revenir sur ces compétences, et de situer chaque élève par rapport à sa progression personnelle.
- Le temps de pause. Lorsque l’attitude d’un enfant perturbe la classe et que le rappel ne suffit pas, nous avons instauré dans la classe une « chaise de pause ». Nous avons ensuite entrepris de trouver ce qu’on pouvait faire pour profiter de ce temps : respirer profondément, mettre ses muscles à l’arrêt, écouter les sons de la classe, prendre la posture de la grenouille… Dans les faits, cela permet souvent aux élèves de se calmer, et constitue un sas symbolique. Si véritablement ils gênent encore leurs camarades, il est possible de les isoler dans le couloir quelques instants, afin de permettre au reste de la classe de retrouver le calme.
- Plan de travail et libre choix des activités. Les élèves ont au départ un choix limité entre quelques activités proposées, sur un plan de travail écrit et préparé à l’avance. Et puis, lorsque l’enfant semble avoir acquis la capacité de concentration suffisante, le libre-choix est proposé.
- Assurer une place au corps des élèves. A 6 ans, un enfant n’est pas qu’un « apprenant », un cerveau prêt à apprendre. Il est aussi un corps en pleine croissance, avec des besoins, et notamment celui de bouger. Les enfants de 6 ans capables spontanément de rester assis durant une heure et demi sur leur chaise sans en bouger sont tout de même minoritaires, et heureusement. Il vaut mieux prendre en compte leur corps que subir leurs débordements, d’autant plus qu’on apprend aussi par le corps : c’est l’intelligence kinesthésique. Maria Montessori a initié tout son matériel sur ce postulat que le geste aide l’intelligence.
- Apprendre à se calmer et à se concentrer. Pour Maria Montessori, le calme et la concentration sont le résultat de l’activité manuelle et intellectuelle. On peut cependant aider l’enfant en puis proposant de cours moments de relaxation. En début de CP, de nombreux élèves sont incapables de s’arrêter de bouger juste une minute, de laisser leur corps au repos. Il est possible de les aider en travaillant sur des exercices de relaxation. J’ai travaillé plusieurs années sur des postures inspirées du yoga adaptées aux enfants. Il s’agissait de trouver un équilibre par des postures, de travailler sur les visualisations. Ce travail se faisait sur 10 à 15 minutes à la fin des séances de sport. Cette année, je travaille également sur la méditation de la grenouille. Ce petit exercice travaille plus la capacité de concentration et d’attention. Dans les 2 cas, ce sont des activités courtes et fréquentes, qui permettent aux élèves de prendre conscience de leur corps et de s’exercer à « se concentrer », puisqu’on le leur demande très régulièrement.
Quelques documents complémentaires :
- Voilà mes réflexions à cette date. Je me dis en les écrivant qu’elles sont évolutives, et heureusement. Si vous n’êtes pas encore saturés, j’avais écrit un texte bien plus long et étoffé, le voici :
- Si les ceintures du comportement vous intéressent, voici ma version, en modifiable car il me semble important pouvoir l’adapter :
Tableau ceintures de comportement
Tableau ceintures de comportement
- Pour afficher les choix disponibles, on peut aussi utiliser une roue des choix :
Super article ! Bravo !
Merci pour cet article très intéressant et complet.
« Calme et attentif comme une grenouille » pas encore testé mais il me fait de l’œil… Penses-tu qu’il est adapté pour des plus grands (CM) ?
Merci pour cet article très bien écrit et très clair. Je me permets de mettre un lien vers ici dans mon blog car j’avais ouvert un débat à ce sujet (ici) et j’adhère à tout ce que tu dis ici!
J’utilise aussi « la grenouille » avec des CM. Ils aiment beaucoup et passé le temps des petits ricanements de quelques uns, le temps de « méditation » fait du bien à tout le monde!
Bonne journée
Merci pour vos messages…
Supermaitre, je ne suis pas étonnée que tu passes par là.
Craie hâtive, pour les CM, cela peut marcher je pense. Dans le CD vendu avec le livre, il y a d’autres méditations que celle de la vidéo, certaines pour les plus petits, d’autres pour les plus grands. C’est sûr, comme dit ECAM, qu’ils vont ricaner un peu au début, mais ils devraient apprécier. Je sais qu’il existe aussi un livre pour les plus grands, mais je n’ai pas testé.
ECAM, merci pour ta réponse et pour le lien… Je n’avais pas vu cet article, c’est intéressant. De toutes façons, il n’existe aucune formule magique, mais lorsqu’on a bien réfléchi et qu’on choisit un mode de fonctionnement avec les valeurs qu’il véhicule, on se sent plus à l’aise pour le mettre en oeuvre et il gagne en efficacité. Et je pense qu’il est important de mener cette réflexion en lien avec nos valeurs, sinon n’importe quel dispositif reste une coquille vide.
Et du coup re-merci pour vos messages, la rédaction des réponses me fait encore avancer.
Je trouve ton article très intéressant. J’aime beaucoup tes ceintures de comportement. Pour moi, c’est du jamais vu. Pas de formule magique toute faite, en effet mais un travail réfléchi pour un progrès de tes élèves assuré. Félicitations et surtout merci pour cette belle découverte.
Grainesdelivres
Samedi 20 Août 2016 à 12:23
C’est vrai, pas de formule magique, ça se saurait .. Merci pour ton message et bonnes fin de vacances !