Voici la fin d’un beau WE de printemps où j’ai enfin pris le temps de jardiner. Tout en culpabilisant un peu de ne pas être en train de commencer mes livrets ou de finir notre pièce de théâtre… et en repensant à un article lu il y a peu sur le rapport au temps et à son accélération, qui fait qu’on se sent si souvent débordés ! Notre métier, dont une partie du travail se fait dans un temps non défini à l’avance, dans un espace souvent peu distinct de notre espace personnel, nous impose de trouver un équilibre, mais aussi de résister à l’accélération pour tenir la route sur le long terme. Il nous demande aussi de laisser ce temps aux élèves, maintenant que les programmes nous disent : « Au cycle 2, l’élève a le temps d’apprendre« . Et je me pose juste cette question : comment savoir prendre le temps ?
J’ai souvent cette impression de manquer de temps, le sentiment que tout s’accélère et que le temps dont je dispose ne me permet pas de faire correctement ce qu’on me demande. Et là, j’emploie volontairement le pronom « on » dans les deux sens : ce que d’autres demandent, mais aussi ce que je me demande à moi-même. Souvent, je suis la première à me fixer des objectifs ambitieux et à culpabiliser de ne pas pouvoir les atteindre. Et même si l’observation de la nature et de mon jardin me renvoie à cette réalité du nécessaire temps de germination et de maturation, il n’est pas si facile de se dégager de l’accélération et de la frustration qui l’accompagne. Pas facile de durer sur le long terme quand le court terme parait déjà si lourd.
L’article qui m’est revenu en tête dans mon jardin, écrit par Bernard Bougon, philosophe et psychosociologue, membre du département d’Éthique publique du Centre Sèvres, s’intitule Se dégager de l’emprise de l’accélération. Ce n’est pas du tout un article concernant les enseignants ou l’activité professionnelle, mais c’est dans cette optique que je l’ai relu, en me demandant comment appliquer cette sagesse et cette réflexion à mon métier.
Pour lui, résister à l’accélération implique de rompre avec ses trois principaux moteurs :
– rompre avec la concurrence ou la compétition : dans notre culture professionnelle marquée par un parcours scolaire souvent sans fautes, avec un recrutement par concours et un avancement accordé aux mieux notés, c’est un énorme défi. Nous sommes habitués à travailler seuls dans l’espace de notre classe. Nous avons peu l’habitude de réellement travailler ensemble. Nous avons besoin d’introduire la bienveillance entre collègues. Alors, je me dis que je peux soigner mon regard sur mes collègues, même s’ils travaillent de façon différente, même s’ils travaillent plus ou moins, même s’ils ont plus ou moins envie de collaborer avec moi. Nous pouvons nous enrichir de nos compétences professionnelles diverses, plutôt que les comparer. Et puis je peux leur proposer des petits pas à faire ensemble, petit à petit… Après tout, les plus beaux jardins sont ceux qui voient voisiner des fleurs de toutes espèces, et les plus productifs sont ceux qui cultivent la variété et les associations de culture !
– se garder de vouloir goûter à tout, vouloir tout voir, tout faire : aucune vie ne peut y suffire, aucune carrière ne peut donner le temps de tout expérimenter. Au contraire, il s’agit de renouer avec sa finalité personnelle. Nous avons besoin de retrouver le sens de notre engagement dans notre métier, et de nous concentrer vers ce sens. Nous ne pouvons pas faire ce métier en reniant nos valeurs. C’est souvent cela qui nous rend malheureux, qui nous fait baisser les bras. Retrouvons les points forts de notre métier, prenons le temps en classe de faire ce qui nous nourrit, ce qui nous rend fiers de nous. J’aime apprendre à lire aux enfants. Et je suis toujours ravie quand je peux aller m’asseoir confortablement dans la bibliothèque à côté d’un de mes élèves pour qu’il me lise un livre qu’il a choisi. Eux aussi adorent ce moment, ils me le réclament. Alors, je décide de prendre ce temps au moins une fois par semaine, 45 minutes de travail autonome et de lecture avec la maitresse, pour retrouver et cultiver le goût d’apprendre à lire aux enfants, pendant que mes élèves découvrent et cultivent leur gout de lire et leur confiance en eux. Après tout, aucun potager ne contient toutes les espèces, mais ceux qui nous donnent à manger sont nombreux, et leurs plantes y sont adaptées à leur milieu !
– casser le cycle de l’accélération technique, sociale ou du rythme de vie : pour entériner une de ces ruptures, il faut parfois juste se donner des repères importants. Je sais que pour concilier ma vie professionnelle et ma vie personnelle, j’ai choisi de travailler en semaine essentiellement le soir après le coucher de mes enfants. Et je sais que lorsque je m’y mets avant le repas du soir, c’est que j’ai perdu l’équilibre !! Parfois, c’est une urgence ponctuelle.. Mais quand cela s’installe, je risque plus d’y perdre que d’y gagner, en fatigue nerveuse, en mécontentement de moi, en stress et en mauvaises relations familiales. Finalement, ce temps que je crois avoir gagné sera préjudiciable à ma patience et donc à mes élèves, et à long terme à mon engagement dans le métier et donc à mes capacités professionnelles… Après tout, le jardinier sait bien que chaque plante prend son temps.. et que si les cerisiers fleurissent un peu trop tôt, le gel risque d’anéantir toute la récolte !
Et voilà un après-midi bien employé, entre les semis (dont quelques uns sont destinés au jardin de l’école !), à mettre en peu en ordre ce que je ressentais, et à repenser ma boussole. L’écrire m’aide à trouver le mot juste pour affiner ma pensée. Vous le partager nous permettra peut-être de pouvoir échanger sur ce sujet, et d’avancer encore plus ensemble. Et si vous avez la chance de pouvoir vous promener dans un jardin, il vous rappellera ce que la vitesse de notre monde tente de nous faire oublier. Alors surtout profitez-en bien !
Trouver l’équilibre… le plus difficile dans ce métier probablement – pour moi en tout cas qui ne me satisfais jamais vraiment de ce que je fais et qui donc cherche toujours a faire mieux ou autrement… J’ai en revanche besoin d’un peu de temps pour décompresser avant d’aller me coucher, donc c’est plutot du 8h-19h30 mais souvent aussi le mercredi jusque 18h (quand tout va bien ! ), le samedi pour une bonne partie de la journée et souvent même un bout du dimanche… En classe, j’ai toujours l’impression de ne pas avoir le temps, de courir après le temps… donc lire cet article me permet de prendre du recul, de me dire que si on n’a pas le temps, il faut le prendre… Qu’il y aura toujours quelque chose à faire, à finir, à préparer, et que c’est à nous d’apprendre à nous arrêter, pour essayer de profiter du temps présent qui, si on n’y prend pas gare, devient trop vite du passé.
C’est vrai qu’on est souvent très exigeants avec nous-mêmes ! C’est parfois difficile de ne pas mettre la barre trop haut… Alors merci de ce long message et sa dernière phrase que je trouve pleine de sagesse…
Je me balade dans ton jardin… Et j’ai pris le temps de lire cet article… Merci de me permettre de prendre mon temps, à mon tour et sans culpabiliser. Maintenant, même s’il se fait tard, je vais aller faire un tour dans le mien (de jardin !).
Merci de ta visite et de ta petite pierre dans mon jardin… Prends ton temps, prends soin de toi… A bientôt !
Cet article est parfait! je le partage!
Merci!
Merci à toi : je le relis aussi en venant répondre par ici et je me rends compte que j’en avais besoin !